Le café dans la culture et le cinéma : un personnage à part entière
La café est sans doute l’un des produits de consommation les plus complexes et les plus intéressant de l’histoire de l’humanité. Il s’agit de l’un des plus mystérieux aussi, car son rôle dans les cultures du monde varie énormément selon les époques et selon les lieux, notamment à partir du XXème siècle. Enfin, il s’agit d’un des produits les plus universels qui soit (ainsi que l’un des produits les plus échangés au monde) ce qui a permis à de nombreuses cultures très différentes de l’envisager avec un prisme culturel particulier. Découvrons ensemble ce qui fait du café un symbole culturel qui traverse les époques, les régions, et classes socio-professionnelles.
Le café est un symbole populaire universel, bien qu’exotique
Le café est peut être le produit dont toutes les cultures à l’échelle de la planète se sont emparées. Pour s’en convaincre, il suffit de se renseigner sur le vocabulaire spécifique qui lui est dédié, notamment au niveau de l’argot. Par exemple en France, avec les mots “Caoua” qui nous viennent du Maghreb, ou la graphie “Kawa” qui nous vient de Pologne. Avec des surnoms comme “l’or brun” ou le “petit noir”, il existe une multitide de façon différentes de parler de la même boisson, sous toutes ses formes.
Pourtant il existe un paradoxe intéressant sur ce point (et nous verrons qu’il ne s’agit pas du seul que nous croiserons au fil de cet article). La café, historiquement et commercialement, à très souvent été perçu comme une denrée de luxe, un produit rare et exotique. C’est toute la perception du monde du luxe qui a évolué au cours du XXème siècle, et la perception du café en grains est partie prenante de cette transformation. On peut citer en exemple, connu de ceux qui étaient jeunes dans les années 1990, les fameuses publicités pour la marque Jacques Vabres, qu’elles soient imprimées ou diffusées à la télévision. Dans ce type de réclame, le café était systématiquement présenté comme un produit exotique et lointain, une perception renforcée par des images de jungle profonde et de producteurs travaillant les caféiers dans des terres montagneuses et escarpées. Ici, l’image du café se voulait évoluer vers un produit dont les commerçants étaient plus respectueux du travail des producteurs, c’était l’ébauche de l’engouement pour le développement durable et une première responsabilisation du grand public sur les sujets liés à la rémunération des producteurs et le respect des sols et de l’environnement en général. En parallèle, une vision encore plus luxueuse du café s’est développée, avec des marques comme “L’Or Absolu” dont les clips publicitaires utilisent généralement des cadres de grand standing comme l’opéra, avec une avalanche de tapis rouges et de décors somptueux. L’emploi d’un acteur comme Georges Clooney est également intéressant, puisqu’il s’agit d’un acteur auquel on associe des adjectifs comme “classe” ou “chic”.
Cette présentation particulière, qui montre un café produit de façon artisanale dans un cadre populaire mais qui reste présenté comme un produit de luxe et exotique, va se développer par la suite. Dans le monde du café de spécialité, notamment, la mise en avant des producteurs et des fermes qui produisent le café est un standard. On vous propose un café de Colombie ou d’Éthiopie, mais d’une ferme en particulier, dont on peut citer le nom des exploitants. La plupart des torréfacteurs de spécialités font leur sourcing eux même et entretiennent des rapports étroits avec des producteurs et des coopératives particulières.
On atteint aujourd’hui le paroxysme de cette double représentation culturelle, avec un café perçu comme une denrée particulièrement populaire, mais toujours exotique et raffiné. Ce paradoxe est très visible à l’écran, comme nous allons le voir.
Le mauvais café : symbole de l’entreprise et des administrations
De l’autre côté du spectre “luxe et raffinement”, le café est aussi représenté comme un outil de productivité, fortement associé au monde de l’entreprise et des administrations.
En France on peut citer la célèbre série de la chaîne M6, “Caméra Café”, qui met en scène la vie quotidienne des salariés d’une entreprise autour de la machine à café. Dans ce cadre, le café est souvent présenté comme un outil de travail, bien plus que comme un produit de dégustation. On retrouve le même type de présentation dans le cinéma américain, avec par exemple la série de films “Men In Black”, qui propose une blague filée sur le très mauvais goût du café proposé au sein de leur quartier général. Dans les films et les séries de ce type, le café visé est souvent le café lyophilisé, qui n’est presque pas considéré comme une boisson dédiée au plaisir gustatif mais bien comme un outil de productivité pour lutter contre la fatigue. Cette perception culturelle du café va de pair avec une réalité commerciale : le café de grande distribution, contrairement au café de spécialité, est torréfié à haute température et ne présente quasiment aucune subtilité au niveau du goût. Chez les torréfacteurs de spécialité, on parle de café “brûlé” pour désigner ce type de café.
Ce rapport entre le monde de l’entreprise et le café, associé à la perception luxueuse de ce dernier, a participé à la création d’un prisme culturelle particulièrement paradoxal. Par exemple, l’expression “servir le café” est considérée comme particulièrement péjorative dans le monde professionnel. Dans ce cadre, le café est toujours considéré comme un produit de luxe, et c’est le subalterne qui va servir le café à son supérieur. Certains parlent même ici du café comme d’un outil de domination symbolique, associé au rôle de la secrétaire tel qu’il était conçu dans les années 1950. De l’autre côté de la lorgnette, le café (nous dirons plutôt le jus de chaussette) consommé en quantité considérable par les travailleurs épuisés va donner lieu à des créations culturelles décalées qui dénoncent l’épuisement au travail. L’un des exemples récents les plus amusants de cette perception est la chanson d’Oldelaf “Le Café”, dont les paroles et le clip montrent la descente aux enfers d’une personne qui consomme beaucoup trop de caféine dans sa journée ce qui finit par lui faire perdre l’esprit.
Le café connoté comme outil intellectuel utilisé par les classes supérieures
A la lecture du titre, vous aurez déjà compris l’objet de ce paragraphe : nous allons parler ici de la façon dont Starbucks (et les marques similaires) essaient d’associer le café à l’idée de travail de haut niveau, de responsabilité, et d’environnement de travail moderne.
La conception même d’une marque comme Starbucks, qui se veut un salon de dégustation et de travail utilisant un cadre feutré et chic, correspond à l’image qu’ils essaient de susciter chez leurs consommateurs. En surfant sur la vague de la numérisation de l’économie et le développement exponentiel du monde de la start-up, l’objectif de cette consommation de café est, aussi, de rester “branché”, d’associer le cadre de la pause gourmande à un certain maintien de la productivité en entreprise. L’idée présentée consiste à dire qu’il est intéressant de consommer les produits présentés pour maintenir un niveau de productivité satisfaisant.
Cette idée est le contrepieds total d’une autre vision culturelle du café, celle des Western Spaghettis qui inondèrent les salles obscures des années 60 jusqu’au années 80. Dans ces films, le café de cowboy est présenté comme un produit de première nécessité, certes le seul moment de réconfort dans la rude journée des explorateurs du far west, mais il n’est pas du tout associé à l’idée d’un travail intellectuel quelconque. L’image même de la cafetière cabossée qui repose sur le feu dans un décor grandiose évoque plutôt une certaine image de la virilité telle qu’elle était présentée à l’époque. Ce qui nous permet de faire une transition de qualité vers le prochain chapitre de notre étude.
Le café comme attribut de la “virilité” à l’ancienne
Pour des raisons historiques assez obscures (mais sans doute liée à la forte amertume supposée du café), la culture populaire à fait de l’or brun un produit associé aux valeurs viriles. Comme nous le disions, c’est un point illustré dans de nombreux Westerns à l’écran, mais que l’on retrouve aussi beaucoup dans les clichés des séries policières américaines.
L’archétype du commissaire de police qui consomme uniquement du café “noir et sans sucre” est omniprésent dans les dernières decennies. A tel point qu’on envisage mal ce genre de personnage demander un café au lait dans un bar lors de la pause au cours du service. Cet archétype à été tellement utilisé que certains ont décidé de s’en moquer ouvertement. On peut le constater dans le très bon film “y’a t’il un pilote dans l’avion”, ou l’on voit un très jeune garçon demander son café noir et sans sucre, au grand étonnement de tout son entourage !
On doit ajouter à cela une symbolique du café utilisé très couramment à l’écran, originellement dans les séries policières. La symbolique de la tasse brisé, ou que l’on voit tomber au au ralenti, suite à une révélation de premier ordre. Le simple fait de laisser tomber son café est considéré comme l’une des meilleures illustrations d’un moment de stupeur et de désarroi. L’expression “j’en aurais recraché mon café” désigne la même symbolique. On en trouve un exemple frappant dans le film “Usual Suspect”, film à suspense dont l’incroyable dénouement est justement illustré par la longue chute de la tasse de café de l’inspecteur qui mène l’enquête.